L’ÉDITO DE LA LETTre de l’INRC – Décembre 2020

Les compétences socio-émotionnelles, incontournables en 2021 ?

Face à la montée en puissance de l’intelligence artificielle se pose la question de l’avenir de l’homme au travail. C’est en 2016 que le Forum économique Mondial a annoncé dans son rapport de sur le sujet que parmi les nouvelles compétences à développer d’urgence se trouve les compétences socio-émotionnelles. Par opposition aux compétences traditionnelles de nature cognitive (en gros la connaissance et raisonnement) celles-ci font appel à nos capacités à agir efficacement sur nos propres émotions ainsi que sur celles des autres. Accélération du temps et complexité des enjeux nécessitent désormais bien davantage que des esprits logiques d’autant qu’à ce jeu-là les machines intelligentes nous dépassent largement. Il faut désormais en plus être capable de s’adapter, de collaborer, de faire preuve de créativité dans la résolution des problèmes, de savoir réguler son stress ou de motiver un groupe. Toutes ces aptitudes s’appuient sur les CSE de l’individu. Elles sont liées à la relation que l’individu entretient avec lui-même et avec les autres. Sans elles pas performance possible à l’ère digitale même chez les plus intelligents d’entre nous.

Le risque est double. D’une part notre environnement de travail est devenu particulièrement stressant en raison de sa volatilité, des incertitudes sur l’avenir, des changements permanents et de l’accélération inexorable du temps. Ce stress croissant de nature chronique nous pénalise autant dans notre productivité que dans notre bien-être. Apprendre à réguler son stress et celui des autres devient un pré-requis pour se montrer agile. En effet ce type de stress rigidifie la pensée et le comportement. Il réquisitionne la « bande passante » du cerveau qui ne peut alors ni apprendre ni raisonner correctement. Les émotions négatives de plus en plus fréquentes au travail opèrent de la même façon. Frustration, découragement, irritation occupent le devant de de notre scène cérébrale au détriment du travail a réaliser. Autrement dit si l’on veut pouvoir se servir correctement de son cerveau, il faut apprendre à réguler son stress et ses émotions négatives comme le font les militaires qui se préparent au combat. 

D’autre part, il est établi que ce qui constitue la clé de voute de la motivation ce sont les émotions. Le rôle des émotions est de nous mettre en mouvement pour le meilleur ou pour le pire. Elles constituent le carburant de notre énergie mentale. Savoir embarquer les autres dans un projet est aussi essentiel que de maitriser son sujet. S’ajoute à cela le fait que le moteur de la collaboration est une émotion : la confiance. Savoir faire confiance et inspirer confiance est la condition de base pour favoriser l’intelligence collective. C’est aussi une valeur ajoutée énorme à une époque où la méfiance règne à tous les niveaux. Quand on sait inspirer confiance en interne on inspire confiance en externe. La qualité des relations au travail devient un critère prioritaire de performance. C’est aussi un critère central de bien-être. Les relations de confiance s’accompagnent d’émotions positives comme la joie. Or sans moments de bonne humeur pas de créativité possible. Très peu de managers sont formés à réguler les émotions négatives et à renforcer les plus positive alors qu’elles agissent directement sur la productivité.

Négliger les CSE aujourd’hui revient à cumuler des difficultés à raisonner, à apprendre, à s’adapter, à collaborer et à être créatif. C’est se garantir une perte de performance qui ne fera que se creuser au fil du temps.

En 2015 Google a cherché à connaître la recette de ses équipes les plus performantes. Dans un premier temps les chercheurs impliqués ont été surpris de ne rien trouvé qui les différenciait. Profil, expérience, méthodes utilisées : rien ne sortait. C’est en traçant des signaux plus subtils qu’ils ont réussi à mettre en évidence le secret des équipes gagnantes : l’existence d’un climat de sécurité psychologique. Les recherches les plus récente ont confirmé l’importance de la sécurité psychologique pour la performance. De nos jours le stress le plus marquant que nous subissons est un stress social. Du fait de notre cerveau social surdéveloppé nous passons notre temps à nous épier les uns les autres et à nous juger.

Nous redoutons le tort que les autres pourraient nous causer. Et pour cause : en tant qu’espèce sociale notre survie dépend du groupe. Le résultat est que nous craignons en permanence de commettre des erreurs ou de nous faire mal voir. Cela envahit notre espace mental au détriment des tâches en cours. Cette retenue nous empêche de nous engager pleinement dans les projets.

Or savoir créer un espace de sécurité interpersonnelle libère les cerveaux de l’obligation de se protéger et autorise un réel débat d’idées. La possibilité pour un individu de baisser la garde au sein d’une équipe lui permet de dédier toutes ses capacités cognitives à la réalisation du travail en cours. Il est possible de créer ce type d’environnement y compris au sein d’un environnement hostile. Son existence ou son absence déterminent les différences de performance entre équipes au sein d’une même organisation. Cette CSE dépend avant tout du manager. C’est à lui de mettre en place ce microclimat de sécurité pour que son équipe puisse donner toute sa mesure. C’est pourquoi les managers représentent une cible prioritaire pour ces compétences.

Le challenge dans le domaine des CSE est de lever les mythes les concernant. Peu de dirigeants savent que les CSE impactent directement la performance de leur organisation. Nombre d’entreprises ont pris conscience de la nécessité de les développer mais ne savent pas comment démarrer concrètement. Il faut dire que ce n’est pas simple de s’y retrouver. Comme ce sujet a le vent en poupe les propositions abondent sous des intitulés vagues comme « soft skills » ou « intelligence émotionnelle ». Les contenus sont très variables dans cet univers qui n’est pas encore codifié.

L’INRC va jouer un rôle important dans les année à venir pour contribuer à harmoniser ce domaine. L’Institut a soumis avec l’accord de ses partenaires un référentiel de CSE dans la relation client au Ministère du Travail. Il a obtenu que ce référentiel soit officiellement inscrit au Répertoire des Métiers. C’est une grande première !  Ce premier référentiel officiel pose le cadre qui manquait jusque-là. L’INRC propose désormais à ses membres une grille d’évaluation validée et une formation aux CSE qui vient compléter l’existant.

Un autre challenge est représenté par l’évaluation de ces compétences. Il existe là aussi une pléthore d’outils dont aucun ne fait le consensus sur le plan scientifique. Comme dans de nombreux domaines émergeants nous allons apprendre en marchant. L’immense avantage de ces compétences est qu’elles sont transversales donc utiles à tous et dans tous les domaines professionnels. Et comme la machine intelligente n’est pas prête de ressentir des émotions le risque d’obsolescence est écarté.

 

Nadia Medjad

 

Nadia Medjad

Nadia Medjad

Docteur en médecine - Experte Compétences Socio-émotionnelles

« Négliger les CSE aujourd’hui revient à cumuler des difficultés à raisonner, à apprendre, à s’adapter, à collaborer et à être créatif. C’est se garantir une perte de performance qui ne fera que se creuser au fil du temps. »